Il est de coutume, lorsqu’une affaire est pendante devant la justice, de cultiver le sens de
la réserve, de la mesure, de la prudence, de l’honnêteté intellectuelle tout court, quelle que soit
son opinion ou sa proximité avec le sujet. Sans être assimilable à de la langue de bois, cette
posture évite de diffuser des jugements trop hâtifs, souvent de nature à porter atteinte à
l’honorabilité d’honnêtes concitoyens, et même d’étrangers. Au nom du principe de la
présomption d’innocence, aucune personne interpellée en rapport avec une enquête
administrative ou judiciaire, fût-ce dans le cas d’un flagrant délit, ne saurait être condamnée sans
que sa responsabilité ne soit établie de façon irréfutable. Et encore, établir et prononcer la
culpabilité d’un prévenu est du ressort exclusif des spécialistes de l’investigation criminelle et du
droit. Il me semble que l’égalité de tous les justiciables devant cette disposition est un principe,
en principe, qui va de soi.
On aura pourtant tout entendu – ou presque – avec cette histoire rocambolesque de fuites
à grande échelle aux épreuves de la session 2017 de notre cher baccalauréat national. Les faits
sont sacrés, le commentaire est libre, dit-on souvent pour s’arroger le droit à des dérapages
verbaux motivés parfois que par l’envie de jouer les premiers rôles sur la scène médiatique, après
s’être auto-proclamé consultant. Dans le cas d’espèce, j’ai même entendu un journaliste se faire
présenter comme un expert des questions liées aux examens (sic!), pour être par la suite invité
à livrer ses impressions sur l’organisation du Bac. Du coup, tout se passe comme si le personnel
de l’Office du Baccalauréat et les Commissions de sélection et de validation des sujets
s’amusaient à jouer avec l’avenir de centaines de milliers de candidats à l’obtention du parchemin
le plus convoité au Sénégal. Cela peut paraître très peu respectueux de la liberté de pensée des
autres, mais je n’éprouve aucune gêne à affirmer que le commentaire peut rester libre tant que
son auteur est un profane qui n’a que la rumeur comme référence et les talk-shows des médias
assoiffés de scandale et de sensationnel comme auditoire.
Par contre, lorsque des professionnels de quelque secteur que ce soit se prononcent sur
une question aussi sensible et délicate que l’identité et le niveau de responsabilité des auteurs
ou complices de fuites à un examen national de l’envergure du Baccalauréat, je vois mal comment
un commentaire sur des agents dont on ignore le profil, le cahier de charges, les conditions de
travail, le niveau de probité, entre autres, saurait être libre. Ailleurs, un tel commentaire
s’appellerait un jugement de valeur, tout simplement, si ce n’est de la diffamation. J’ai d’ailleurs
du mal à dissocier la malveillance de l’empressement à coller des étiquettes péjoratives sur le
dos de personnes peu ou pas connues. Combien de sénégalais sommes-nous aujourd’hui à
pouvoir ajouter deux noms quelconques d’agents de l’Office du Baccalauréat – après celui du
directeur ? Combien de nos consultants de circonstance seraient capables de se rendre au
bâtiment déjà décrépit qui abrite provisoirement (depuis bientôt 3 ans) les locaux dudit Office,
sans se faire orienter ? Là n’est pas la question, objectera-t-on sans doute, puisqu’il s’agit bien
de fuites. Soit.
Mais alors, quid du droit des agents de ce service national à un procès équitable, fût-il
populaire, fût-il en sorcellerie ? Exception faite, bien entendu, des auteurs et complices de ces
fuites qui ont tout intérêt à raser les murs, quel est aujourd’hui le seul sénégalais – et cette fois-ci
je conjugue bien au singulier – qui a une seule idée fondée, légitime, sur l’origine de ce déluge
d’épreuves sur les réseaux sociaux ? Il est juste trop facile de gagner une querelle des mots face
à un adversaire rendu muet par les circonstances, puisque strictement soumis à l’obligation de
réserve. Même la « grande muette » a sa DIRPA pour communiquer avec le monde extérieur ; la
nature même de l’énorme tâche qui est confiée à l’office du Baccalauréat fait que la discrétion,
au sens le plus propre du terme, n’est pas seulement un critère de recrutement de son personnel :
c’est un outil de travail. Pour avoir travaillé avec ces braves gens depuis sept ans maintenant, je
puis aussi témoigner d’abord de leur souci permanent que chaque année, l’examen non
seulement se déroule dans les meilleures conditions possibles, mais aussi que des améliorations
y soient apportées à chaque session.
Jusqu’à la preuve ir-ré-fu-ta-ble (Dieu nous en préserve) de l’implication d’un seul membre
de la division pédagogique que je connais le mieux, l’idée ne me traversera jamais l’esprit un seul
instant qu’une responsabilité consciente et active dans ces manquements plus que graves leur
puisse être imputée. Et j’imagine que tel est le sentiment de tous les autres Inspecteurs Généraux
de l’Éducation et de le Formation (IGEF), ainsi que de leurs collaborateurs des commissions de
sélection et de finalisation des épreuves. À supposer, par extraordinaire, qu’un esprit très mal
inspiré, cède à la folle envie de monnayer des épreuves auxquelles il aura eu accès, parce
qu’agent de l’Office du Bac, IGEF ou membre de commission. Quelle que soit la cupidité de cette
personne, quelles que soient les autres circonstances qui pourraient l’amener à croire qu’elle peut
se permettre de trahir la confiance de tout un pays – puisque c’est de cela qu’il s’est agit – en
somme, quelle que soit sa capacité à faire taire sa conscience ou à lui tourner le dos, il lui restera
au moins la claire connaissance d’un fait et non d’une probabilité : en cas d’esclandre comme
c’est le cas aujourd’hui, les radars de nos redoutables enquêteurs mèneraient directement à sa
silhouette, si peu lumineuse soit son auréole.
J’aimerais bien d’ailleurs que les statisticiens du décompte macabre de scandales nous
disent combien de fois des agents directement impliqués dans la saisie, la reprographie, la mise
sous scellé et la ventilation des épreuves ont eu à être mêlés à des histoires de fuites.
Contrairement à l’image plus que tordue qu’on voudrait en donner, voilà des enseignants émérites
qui, à deux, voire trois mois du début de l’examen, se passent de vie de famille le samedi, le
dimanche, les jours de congé payé, de 8:00 à 19:00, pour s’assurer que les inspecteurs généraux
et leurs équipes ont ce que le service a de meilleur à offrir pour finaliser les sujets. Pour mettre
chaque cantine à épreuves entre les mains de l’autorité préposée à sa réception avant la date
échue, et ce pour tous les centres d’examen que compte notre pays, ces agents bravent les
routes cahoteuses les plus dangereuses du Sénégal, sans escorte, et donc à leurs risques et
périls. Et ce travail de titan est abattu par la même équipe bien trop restreinte contrairement, là
aussi, aux folles rumeurs qui prétendent qu’il y aurait une pléthore de mains autorisées à tripoter
ces documents si confidentiels.
Pour l’anecdote, quelle ne fut ma surprise en 2004, alors que j’en étais juste à ma première
année d’enseignement, de voir le directeur de l’Office en personne débarquer au lycée de Dahra
Djoloff avec cette fameuse malle que bien des coupeurs de route auraient préférée aux maigres
contenus des portefeuilles de la plupart des abonnés aux transports en commun. Sans cortège,
s’il vous plait. On lui reproche, entre autres rares griefs objectifs, s’il en est, d’être atteint par la
limite d’âge. Certains consultants que j’ai eus de la peine à écouter sur les ondes FM semblent
même s’affliger de sa longévité à la tête d’une direction nationale. Si cela se trouve, c’est aussi
en partie parce que les compétences dignes de la confiance des véritables militants de l’école
sénégalaise ne se bousculent pas à la porte qui s’ouvre sur son départ. Non pas parce qu’elles
sont limitées en nombre, mais plutôt parce qu’elles sont clairement conscientes de l’ampleur et
de l’ingratitude de la tâche qui y attend son successeur. À ce sujet, le constat qui me rend le plus
amer est de voir que pour une fois, les politiciens – du pouvoir comme de l’opposition – font plus
preuve de retenue que certains de mes collègues enseignants qui semblent se délecter de la
survenue de cette tragédie qui nous humilie tous et qui s’accrochent à l’occasion qui leur est ainsi
offerte de s’exercer à l’art de la flagellation verbale.
À titre d’exemple, j’ai entendu le secrétaire général d’un syndicat du moyen secondaire se
lancer dans des commentaires plus que virulents sur la sécurisation des épreuves du Bac et qui,
à la requête du journaliste intervieweur sur la composition des commissions de révision de ces
mêmes épreuves, rétorquera sans sourciller qu’il ne sait rien de la façon dont leurs membres sont
choisis. Absolument renversant pour quelqu’un qui est sensé défendre les intérêts des
enseignants que nous sommes, membres de commission ou pas. Pas plus inspiré que lui, un
responsable de la COSYDEP crie sur tous les plateaux de radio et de télévision qu’il faut
reconsidérer le fonctionnement de ce qu’il appelle les « structures centrales » et évaluer les
pratiques en cours et hop ! Plus de fuites. Et parce qu’en face, le sens de la mesure est érigé en
règle d’or, ces élucubrations prospèrent et se partagent des milliers de fois sur les réseaux
sociaux. Dans des situations pareilles, mon ancien formateur en psychopédagogie à l’École
Normale Supérieure, M. Falla Sow, aurait sans doute répondu, sereinement : « À la provocation
réactionnaire, je réponds par le silence révolutionnaire. » Fin de citation.
Il est temps que l’on arrête de faire croire aux sénégalais, aux candidats surtout et à leurs
entourages respectifs, que des personnes irresponsables sont autorisées à déteindre
significativement sur l’organisation de cet examen qui demeure, envers et contre tous, celui qui
paraît à une écrasante majorité des acteurs du système éducatif comme le plus crédible que nous
ayons. Des brebis galeuses et des esprits mal intentionnés il y en a, à l’affût, comme partout
ailleurs. Mais ils font plus légion en dehors du noyau dur de l’Office du Baccalauréat que l’inverse.
Le sommet de la bêtise a presque été atteint lorsque le débat d’une émission radio dénommée
« Parole à nos auditeurs » a tourné autour de l’opportunité de confier la sécurisation des épreuves
à – tenez-vous bien – l’armée ! Comme si tout espoir était perdu avec les civils ; comme si des
civils il n’y en avait pas dans l’organisation des concours militaires ; comme si des inspecteurs
généraux et des professeurs de l’armée confectionnaient, supervisaient et corrigeaient les
épreuves proposées aux différents concours militaires ; comme si, enfin, la tragédie de cette
année avait son pareil dans l’histoire du baccalauréat sénégalais.
Il faudrait, qu’entre agents de l’état, l’on apprenne à se respecter les uns les autres. Le
secteur présumé le plus prestigieux de l’administration sénégalaise ne saurait se prévaloir d’avoir
plus de mérite que le moins couru. Il suffit que les braves agents du nettoiement, les personnels
des transports publiques ou encore les travailleurs de la justice – pour ne citer que ceux-là –
observent un arrêt de travail pour s’en rendre compte. D’après la presse de ces derniers jours, le
travail d’investigation de la police aurait requis la mise sous scellé et la réquisition d’ordinateurs
de l’Office du Bac. Si tant est que certaines de ces machines contiennent encore des versions
électroniques d’épreuves qui restent à être soumises aux candidats pour la suite de l’examen,
pourquoi seraient-elles, de facto, entre des mains plus sûres que si leur analyse était faite sur
place ? Combien de fois la presse nationale a-t-elle prétendu s’être procurée copie de procès verbaux
d’auditions estampillés « confidentiels » ? Les agents de l’Office du Bac ne seraient-ils
pas en droit de refuser de toucher à nouveau à toute machine, à tout dossier contenant des
épreuves qui serait sorti de son seul environnement naturel : leur lieu de travail ? Un ancien
ministre de l’éducation qui dit presque tout sur une prétendue désarticulation entre les tutelles
ministérielles et académiques respectives des agents qui tournent autour de cet examen, alors
que les enquêteurs n’en sont encore qu’à la phase de collecte d’informations, cela fait froid dans
le dos. Dans mon dos, pour être plus précis.
Enfin, l’on essaie, avec beaucoup d’errements, de faire croire aux sénégalais, aux
candidats surtout et à leurs entourages déjà suffisamment meurtris, qu’il y aurait trop de monde
dans les commissions de choix des sujets, et que les inspecteurs généraux seraient déconnectés
des réalités de l’enseignement moyen-secondaire. Que de spéculations ! Il n’y a ni commerçant,
ni soudeur, ni même élève-professeur dans lesdites commissions ; elles sont composées
exclusivement de professeurs émérites, craie-en-main, compétents, bien assis sur la théorie et
la pratique pédagogiques pour l’avoir démontré plus de fois que nécessaires et dont l’implication
dans cette mission risquée et financièrement précarisante ne fait l’objet d’aucune contestation de
la part de nos collègues. Cela va en surprendre plus d’un, mais ces commissions sont plutôt en
sous-nombre. La raison, toute simple, en est d’abord que leurs membres ne peuvent être que
des enseignants en service à Dakar, puisque l’état – et non l’Office du Bac – n’est pas disposé à
leur octroyer des frais de déplacement à hauteur de leur peine. Mieux – ou pire, c’est selon –
c’est presque à genoux que les inspecteurs généraux doivent supplier certains collègues de la
capitale de bien vouloir tourner le dos à des offres 5 à 10 fois plus alléchantes et d’accepter,
comme seule rémunération, le remboursement du coût du transport qui couvre à peine la manche
allée du déplacement de la banlieue au siège de l’Office du Bac à bord du taxi le moins disant. Si
cela n’est pas faire esprit de sacrifice, il faudra bien que l’on nous édifie.
L’engagement d’un agent aux côtés de ses collègues membres de la commission n’est
pas pour autant synonyme de décharge horaire au niveau de son établissement d’affectation ou
d’octroi d’heures supplémentaires. En langage moins codé, ces braves soldats de l’éducation font
du social au profit de l’état du Sénégal, et non de l’Office du Bac. Rien de tout ceci, je l’admets,
ne met qui que ce soit au-dessus de tout soupçon. Il faut aussi admettre, en retour, que pour
soupçonner même Robin des Bois, de pratique délictuelle, il faudrait d’abord qualifier son crime
et être en mesure de démontrer que le sieur n’est pas digne de confiance, mais pas de conjecturer
sur sa probable culpabilité. Le même commentaire s’applique aux tentatives stériles de faire
planer le doute au-dessus du profil des préposés à la validation finale des épreuves. L’histoire du
sujet avorté de mathématiques au Concours Général aidant, le tableau est peint comme si la
défaillance de l’unité était représentative de, et donc imputable à la dizaine, à la centaine, et au
reste de la suite numérique. L’exception, même si elle se répète, ne saurait s’identifier à la règle.
Et non ! Les IGEF ne sont pas que des universitaires qui ne se présenteraient à l’Office du
Baccalauréat qu’à la fin des travaux des commissions pour, muni d’un dé à quatre faces,
procéder, tel Zeus incontesté dans le ciel et sur terre, au choix des heureux Olympiens autorisés
à prendre part à la phase finale des jeux.
Il existe, peut-être, des IGEF tels que décrits sur Radio Kankan. Je ne demande qu’à les
croiser. Tous ceux d’entre eux que je connais, par contre, auront passé une bonne partie de leur
carrière d’enseignant à user leurs godasses sur les terrains des deuxième et troisième divisions
avant d’être admis à la Premier League universitaire, si l’on veut bien me passer cette tournure.
Il en est d’ailleurs qui s’adonnent toujours, craie en main, à la pratique de classe, et ce, dans des
établissements publiques d’enseignement moyen-secondaire. La dernière fois que votre serviteur
s’y est exercé remonte au mois de juin dernier. À défaut donc, de recevoir les honneurs de la
République pour services rendus, les fonctionnaires et agents au sujet desquels j’ai tenté de
disserter tout au long de ce papier, sans leur consentement, sont en droit d’exiger que la rigueur
et la froideur de Thémis ne leur soient appliquées que pour les mêmes raisons et de la même
façon qu’elles s’exercent sur d’autres fonctionnaires et agents de la même administration.
Aussi, que personne ne s’y méprenne : en prenant la plume, mon dessein ici n’est point
de me lancer dans une vaine entreprise de dédouanement de ma propre personne ou de
blanchiment de collaborateurs véreux. Je demande tout simplement que l’on attende que la
responsabilité des uns et des autres soit clairement établie. Ensemble, nous serons alors en droit
d’exiger, si c’est cela le remède au mal qui nous affecte tous, qu’il leur soit appliquée la peine de
mort à titre exceptionnel. Certainement pas avant !
Dr. Cheick Sadibou Diagne
IGEF - Collège d’Anglais
Enseignant au département
de
Didactique de l’Anglais
de la FASTEF/UCAD.
doctorjaagn@gmail.com
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