jeudi 20 juillet 2017

« Fuites au Bac : les béotiens font de la consultance »

Il est de coutume, lorsqu’une affaire est pendante devant la justice, de cultiver le sens de la réserve, de la mesure, de la prudence, de l’honnêteté intellectuelle tout court, quelle que soit son opinion ou sa proximité avec le sujet. Sans être assimilable à de la langue de bois, cette posture évite de diffuser des jugements trop hâtifs, souvent de nature à porter atteinte à l’honorabilité d’honnêtes concitoyens, et même d’étrangers. Au nom du principe de la présomption d’innocence, aucune personne interpellée en rapport avec une enquête administrative ou judiciaire, fût-ce dans le cas d’un flagrant délit, ne saurait être condamnée sans que sa responsabilité ne soit établie de façon irréfutable. Et encore, établir et prononcer la culpabilité d’un prévenu est du ressort exclusif des spécialistes de l’investigation criminelle et du droit. Il me semble que l’égalité de tous les justiciables devant cette disposition est un principe, en principe, qui va de soi. 

On aura pourtant tout entendu – ou presque – avec cette histoire rocambolesque de fuites à grande échelle aux épreuves de la session 2017 de notre cher baccalauréat national. Les faits sont sacrés, le commentaire est libre, dit-on souvent pour s’arroger le droit à des dérapages verbaux motivés parfois que par l’envie de jouer les premiers rôles sur la scène médiatique, après s’être auto-proclamé consultant. Dans le cas d’espèce, j’ai même entendu un journaliste se faire présenter comme un expert des questions liées aux examens (sic!), pour être par la suite invité à livrer ses impressions sur l’organisation du Bac. Du coup, tout se passe comme si le personnel de l’Office du Baccalauréat et les Commissions de sélection et de validation des sujets s’amusaient à jouer avec l’avenir de centaines de milliers de candidats à l’obtention du parchemin le plus convoité au Sénégal. Cela peut paraître très peu respectueux de la liberté de pensée des autres, mais je n’éprouve aucune gêne à affirmer que le commentaire peut rester libre tant que son auteur est un profane qui n’a que la rumeur comme référence et les talk-shows des médias assoiffés de scandale et de sensationnel comme auditoire. 

Par contre, lorsque des professionnels de quelque secteur que ce soit se prononcent sur une question aussi sensible et délicate que l’identité et le niveau de responsabilité des auteurs ou complices de fuites à un examen national de l’envergure du Baccalauréat, je vois mal comment un commentaire sur des agents dont on ignore le profil, le cahier de charges, les conditions de travail, le niveau de probité, entre autres, saurait être libre. Ailleurs, un tel commentaire s’appellerait un jugement de valeur, tout simplement, si ce n’est de la diffamation. J’ai d’ailleurs du mal à dissocier la malveillance de l’empressement à coller des étiquettes péjoratives sur le dos de personnes peu ou pas connues. Combien de sénégalais sommes-nous aujourd’hui à pouvoir ajouter deux noms quelconques d’agents de l’Office du Baccalauréat – après celui du directeur ? Combien de nos consultants de circonstance seraient capables de se rendre au bâtiment déjà décrépit qui abrite provisoirement (depuis bientôt 3 ans) les locaux dudit Office, sans se faire orienter ? Là n’est pas la question, objectera-t-on sans doute, puisqu’il s’agit bien de fuites. Soit. 

Mais alors, quid du droit des agents de ce service national à un procès équitable, fût-il populaire, fût-il en sorcellerie ? Exception faite, bien entendu, des auteurs et complices de ces fuites qui ont tout intérêt à raser les murs, quel est aujourd’hui le seul sénégalais – et cette fois-ci je conjugue bien au singulier – qui a une seule idée fondée, légitime, sur l’origine de ce déluge d’épreuves sur les réseaux sociaux ? Il est juste trop facile de gagner une querelle des mots face à un adversaire rendu muet par les circonstances, puisque strictement soumis à l’obligation de réserve. Même la « grande muette » a sa DIRPA pour communiquer avec le monde extérieur ; la nature même de l’énorme tâche qui est confiée à l’office du Baccalauréat fait que la discrétion, au sens le plus propre du terme, n’est pas seulement un critère de recrutement de son personnel : c’est un outil de travail. Pour avoir travaillé avec ces braves gens depuis sept ans maintenant, je puis aussi témoigner d’abord de leur souci permanent que chaque année, l’examen non seulement se déroule dans les meilleures conditions possibles, mais aussi que des améliorations y soient apportées à chaque session. 

Jusqu’à la preuve ir-ré-fu-ta-ble (Dieu nous en préserve) de l’implication d’un seul membre de la division pédagogique que je connais le mieux, l’idée ne me traversera jamais l’esprit un seul instant qu’une responsabilité consciente et active dans ces manquements plus que graves leur puisse être imputée. Et j’imagine que tel est le sentiment de tous les autres Inspecteurs Généraux de l’Éducation et de le Formation (IGEF), ainsi que de leurs collaborateurs des commissions de sélection et de finalisation des épreuves. À supposer, par extraordinaire, qu’un esprit très mal inspiré, cède à la folle envie de monnayer des épreuves auxquelles il aura eu accès, parce qu’agent de l’Office du Bac, IGEF ou membre de commission. Quelle que soit la cupidité de cette personne, quelles que soient les autres circonstances qui pourraient l’amener à croire qu’elle peut se permettre de trahir la confiance de tout un pays – puisque c’est de cela qu’il s’est agit – en somme, quelle que soit sa capacité à faire taire sa conscience ou à lui tourner le dos, il lui restera au moins la claire connaissance d’un fait et non d’une probabilité : en cas d’esclandre comme c’est le cas aujourd’hui, les radars de nos redoutables enquêteurs mèneraient directement à sa silhouette, si peu lumineuse soit son auréole. 

J’aimerais bien d’ailleurs que les statisticiens du décompte macabre de scandales nous disent combien de fois des agents directement impliqués dans la saisie, la reprographie, la mise sous scellé et la ventilation des épreuves ont eu à être mêlés à des histoires de fuites. Contrairement à l’image plus que tordue qu’on voudrait en donner, voilà des enseignants émérites qui, à deux, voire trois mois du début de l’examen, se passent de vie de famille le samedi, le dimanche, les jours de congé payé, de 8:00 à 19:00, pour s’assurer que les inspecteurs généraux et leurs équipes ont ce que le service a de meilleur à offrir pour finaliser les sujets. Pour mettre chaque cantine à épreuves entre les mains de l’autorité préposée à sa réception avant la date échue, et ce pour tous les centres d’examen que compte notre pays, ces agents bravent les routes cahoteuses les plus dangereuses du Sénégal, sans escorte, et donc à leurs risques et périls. Et ce travail de titan est abattu par la même équipe bien trop restreinte contrairement, là aussi, aux folles rumeurs qui prétendent qu’il y aurait une pléthore de mains autorisées à tripoter ces documents si confidentiels. 

Pour l’anecdote, quelle ne fut ma surprise en 2004, alors que j’en étais juste à ma première année d’enseignement, de voir le directeur de l’Office en personne débarquer au lycée de Dahra Djoloff avec cette fameuse malle que bien des coupeurs de route auraient préférée aux maigres contenus des portefeuilles de la plupart des abonnés aux transports en commun. Sans cortège, s’il vous plait. On lui reproche, entre autres rares griefs objectifs, s’il en est, d’être atteint par la limite d’âge. Certains consultants que j’ai eus de la peine à écouter sur les ondes FM semblent même s’affliger de sa longévité à la tête d’une direction nationale. Si cela se trouve, c’est aussi en partie parce que les compétences dignes de la confiance des véritables militants de l’école sénégalaise ne se bousculent pas à la porte qui s’ouvre sur son départ. Non pas parce qu’elles sont limitées en nombre, mais plutôt parce qu’elles sont clairement conscientes de l’ampleur et de l’ingratitude de la tâche qui y attend son successeur. À ce sujet, le constat qui me rend le plus amer est de voir que pour une fois, les politiciens – du pouvoir comme de l’opposition – font plus preuve de retenue que certains de mes collègues enseignants qui semblent se délecter de la survenue de cette tragédie qui nous humilie tous et qui s’accrochent à l’occasion qui leur est ainsi offerte de s’exercer à l’art de la flagellation verbale. 

À titre d’exemple, j’ai entendu le secrétaire général d’un syndicat du moyen secondaire se lancer dans des commentaires plus que virulents sur la sécurisation des épreuves du Bac et qui, à la requête du journaliste intervieweur sur la composition des commissions de révision de ces mêmes épreuves, rétorquera sans sourciller qu’il ne sait rien de la façon dont leurs membres sont choisis. Absolument renversant pour quelqu’un qui est sensé défendre les intérêts des enseignants que nous sommes, membres de commission ou pas. Pas plus inspiré que lui, un responsable de la COSYDEP crie sur tous les plateaux de radio et de télévision qu’il faut reconsidérer le fonctionnement de ce qu’il appelle les « structures centrales » et évaluer les pratiques en cours et hop ! Plus de fuites. Et parce qu’en face, le sens de la mesure est érigé en règle d’or, ces élucubrations prospèrent et se partagent des milliers de fois sur les réseaux sociaux. Dans des situations pareilles, mon ancien formateur en psychopédagogie à l’École Normale Supérieure, M. Falla Sow, aurait sans doute répondu, sereinement : « À la provocation réactionnaire, je réponds par le silence révolutionnaire. » Fin de citation. 

Il est temps que l’on arrête de faire croire aux sénégalais, aux candidats surtout et à leurs entourages respectifs, que des personnes irresponsables sont autorisées à déteindre significativement sur l’organisation de cet examen qui demeure, envers et contre tous, celui qui paraît à une écrasante majorité des acteurs du système éducatif comme le plus crédible que nous ayons. Des brebis galeuses et des esprits mal intentionnés il y en a, à l’affût, comme partout ailleurs. Mais ils font plus légion en dehors du noyau dur de l’Office du Baccalauréat que l’inverse. Le sommet de la bêtise a presque été atteint lorsque le débat d’une émission radio dénommée « Parole à nos auditeurs » a tourné autour de l’opportunité de confier la sécurisation des épreuves à – tenez-vous bien – l’armée ! Comme si tout espoir était perdu avec les civils ; comme si des civils il n’y en avait pas dans l’organisation des concours militaires ; comme si des inspecteurs généraux et des professeurs de l’armée confectionnaient, supervisaient et corrigeaient les épreuves proposées aux différents concours militaires ; comme si, enfin, la tragédie de cette année avait son pareil dans l’histoire du baccalauréat sénégalais. 

Il faudrait, qu’entre agents de l’état, l’on apprenne à se respecter les uns les autres. Le secteur présumé le plus prestigieux de l’administration sénégalaise ne saurait se prévaloir d’avoir plus de mérite que le moins couru. Il suffit que les braves agents du nettoiement, les personnels des transports publiques ou encore les travailleurs de la justice – pour ne citer que ceux-là – observent un arrêt de travail pour s’en rendre compte. D’après la presse de ces derniers jours, le travail d’investigation de la police aurait requis la mise sous scellé et la réquisition d’ordinateurs de l’Office du Bac. Si tant est que certaines de ces machines contiennent encore des versions électroniques d’épreuves qui restent à être soumises aux candidats pour la suite de l’examen, pourquoi seraient-elles, de facto, entre des mains plus sûres que si leur analyse était faite sur place ? Combien de fois la presse nationale a-t-elle prétendu s’être procurée copie de procès verbaux d’auditions estampillés « confidentiels » ? Les agents de l’Office du Bac ne seraient-ils pas en droit de refuser de toucher à nouveau à toute machine, à tout dossier contenant des épreuves qui serait sorti de son seul environnement naturel : leur lieu de travail ? Un ancien ministre de l’éducation qui dit presque tout sur une prétendue désarticulation entre les tutelles ministérielles et académiques respectives des agents qui tournent autour de cet examen, alors que les enquêteurs n’en sont encore qu’à la phase de collecte d’informations, cela fait froid dans le dos. Dans mon dos, pour être plus précis. 

Enfin, l’on essaie, avec beaucoup d’errements, de faire croire aux sénégalais, aux candidats surtout et à leurs entourages déjà suffisamment meurtris, qu’il y aurait trop de monde dans les commissions de choix des sujets, et que les inspecteurs généraux seraient déconnectés des réalités de l’enseignement moyen-secondaire. Que de spéculations ! Il n’y a ni commerçant, ni soudeur, ni même élève-professeur dans lesdites commissions ; elles sont composées exclusivement de professeurs émérites, craie-en-main, compétents, bien assis sur la théorie et la pratique pédagogiques pour l’avoir démontré plus de fois que nécessaires et dont l’implication dans cette mission risquée et financièrement précarisante ne fait l’objet d’aucune contestation de la part de nos collègues. Cela va en surprendre plus d’un, mais ces commissions sont plutôt en sous-nombre. La raison, toute simple, en est d’abord que leurs membres ne peuvent être que des enseignants en service à Dakar, puisque l’état – et non l’Office du Bac – n’est pas disposé à leur octroyer des frais de déplacement à hauteur de leur peine. Mieux – ou pire, c’est selon – c’est presque à genoux que les inspecteurs généraux doivent supplier certains collègues de la capitale de bien vouloir tourner le dos à des offres 5 à 10 fois plus alléchantes et d’accepter, comme seule rémunération, le remboursement du coût du transport qui couvre à peine la manche allée du déplacement de la banlieue au siège de l’Office du Bac à bord du taxi le moins disant. Si cela n’est pas faire esprit de sacrifice, il faudra bien que l’on nous édifie. 

L’engagement d’un agent aux côtés de ses collègues membres de la commission n’est pas pour autant synonyme de décharge horaire au niveau de son établissement d’affectation ou d’octroi d’heures supplémentaires. En langage moins codé, ces braves soldats de l’éducation font du social au profit de l’état du Sénégal, et non de l’Office du Bac. Rien de tout ceci, je l’admets, ne met qui que ce soit au-dessus de tout soupçon. Il faut aussi admettre, en retour, que pour soupçonner même Robin des Bois, de pratique délictuelle, il faudrait d’abord qualifier son crime et être en mesure de démontrer que le sieur n’est pas digne de confiance, mais pas de conjecturer sur sa probable culpabilité. Le même commentaire s’applique aux tentatives stériles de faire planer le doute au-dessus du profil des préposés à la validation finale des épreuves. L’histoire du sujet avorté de mathématiques au Concours Général aidant, le tableau est peint comme si la défaillance de l’unité était représentative de, et donc imputable à la dizaine, à la centaine, et au reste de la suite numérique. L’exception, même si elle se répète, ne saurait s’identifier à la règle. Et non ! Les IGEF ne sont pas que des universitaires qui ne se présenteraient à l’Office du Baccalauréat qu’à la fin des travaux des commissions pour, muni d’un dé à quatre faces, procéder, tel Zeus incontesté dans le ciel et sur terre, au choix des heureux Olympiens autorisés à prendre part à la phase finale des jeux. 

Il existe, peut-être, des IGEF tels que décrits sur Radio Kankan. Je ne demande qu’à les croiser. Tous ceux d’entre eux que je connais, par contre, auront passé une bonne partie de leur carrière d’enseignant à user leurs godasses sur les terrains des deuxième et troisième divisions avant d’être admis à la Premier League universitaire, si l’on veut bien me passer cette tournure. Il en est d’ailleurs qui s’adonnent toujours, craie en main, à la pratique de classe, et ce, dans des établissements publiques d’enseignement moyen-secondaire. La dernière fois que votre serviteur s’y est exercé remonte au mois de juin dernier. À défaut donc, de recevoir les honneurs de la République pour services rendus, les fonctionnaires et agents au sujet desquels j’ai tenté de disserter tout au long de ce papier, sans leur consentement, sont en droit d’exiger que la rigueur et la froideur de Thémis ne leur soient appliquées que pour les mêmes raisons et de la même façon qu’elles s’exercent sur d’autres fonctionnaires et agents de la même administration. 

Aussi, que personne ne s’y méprenne : en prenant la plume, mon dessein ici n’est point de me lancer dans une vaine entreprise de dédouanement de ma propre personne ou de blanchiment de collaborateurs véreux. Je demande tout simplement que l’on attende que la responsabilité des uns et des autres soit clairement établie. Ensemble, nous serons alors en droit d’exiger, si c’est cela le remède au mal qui nous affecte tous, qu’il leur soit appliquée la peine de mort à titre exceptionnel. Certainement pas avant ! 

Dr. Cheick Sadibou Diagne 
IGEF - Collège d’Anglais 
Enseignant au département 
de Didactique de l’Anglais 
de la FASTEF/UCAD.
doctorjaagn@gmail.com 

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